Dreyfus L01

Résumé

Les Deux Approches:Humaniste vs Ontologique

1) L’approche ontologique

Dreyfus va parler de livres qui décrivent un monde. « Décrire un monde » n’est pas la même chose que poser des thèses et des arguments. Chaque auteur veut nous présenter l’expérience de la vie à son mieux dans chacun de ses mondes très hétérogènes. Sans le savoir, ils présentent la compréhension de l’être  qui correspond à chaque monde. Ces mondes, ces compréhensions de l’être sont incommensurables. Un saint du monde médiéval est impensable dans le monde homérique, il serait vu comme un être servile. Un héros comme Ulysse est traité comme un pécheur par Dante et relégué au 8ème cercle de l’enfer. Un monde est dépeint dans une oeuvre qui montre ce que c’est de vivre dans ce monde, comment c’est d’avoir cette compréhension de l’être. L’oeuvre d’art fait briller la compréhension de l’être, elle montre ce que c’est d’être un homme, une femme, un guerrier, un saint etc. Ceci est très différent de la démarche philosophique, qui tente de trouver des réponses justes à des problèmes profonds. L’artiste, au sens ontologique, est appelé par un monde à la tâche de l’exprimer, de le montrer, de le faire briller. Dreyfus dit que l’artiste ontologique « glamourise » un monde. Homère montre les héros, comme Achille, en train de briller de tout leur éclat.

2) L’approche humaniste

Dreyfus contraste son approche ontologique avec une autre approche qu’il qualifie de « humaniste ». Pour l’humaniste, l’histoire est une évolution continue.Nous savons plus et mieux aujourd’hui que Homère, et notre vision rétrospective nous permet de discerner où Homère a raison, ce qu’il a compris que nous comprenons encore mieux. L’oeuvre d’art est réduit à un livre, qui illustre une simple étape dans le progrès de la connaissance du monde unique. Cette approche pense en termes d’essences, par exemple l’essence de l’humain, de la société, des institutions. Il nous a fallu longtemps pour commencer à bien comprendre ces essences et les grands livres du passé sont les dignes précurseurs de notre compréhension actuelle.

3) Heidegger vs Hegel

Selon Dreyfus l’approche humaniste trouve son expression philosophique accomplie en Hegel, dont la philosophie de l’histoire décrit notre progrès vers une compréhension de plus en plus claire, juste et complet du monde. L’approche ontologique est exprimée par Heidegger, qui pense en termes d’une série de mondes, qui sont incommensurables sans être ordonnables en termes d’une approche progressive à la vérité. Non seulement il n’y a pas de progrès constant et cumulatif, mais il y un déclin. Homère, du point de vue de Heidegger, comprenait mieux que nous, il exprime une compréhension plus riche, plus chargée de sens, plus phénoménologiquement adéquate que la nôtre. Néanmoins Heidegger n’est pas structuraliste, il ne pense pas que ces mondes sont totalement étanches. Lorsque chaque monde meurt il laisse des traces sur les marges des mondes et des compréhensions de l’être qui suivent. Ces traces contiennent les germes des compréhensions du monde antérieurs qui sont plus riches que notre compréhension actuelle.

4) La Question du Nihilisme

Dreyfus est en train décrire un livre sur toutes ces questions en collaboration avec son collègue, et ancien élève, Sean Kelly. Kelly est plus convaincu que Dreyfus de la thèse du déclin et de son corollaire énonçant le caractère nihiliste de notre monde actuel. Selon lui notre monde est caractérisé par la perte du sens, la paralysie existentielle, l’absence de fondements pour nos choix, une hypertrophie réflexive. L’histoire vue à travers la successsion des grands livres est l’histoire d’un déclin progressif vers le nihilisme. Le monde merveilleux d’Homère est presque perdu, mais il est encore recouvrable grâce aux traces qu’il a laissées dans des pratiques et des sensibilités marginales. C’est le projet de Melville: attirer le retour des dieux grecs.

5) Grandes Oeuvres vs Grands livres

Les grands livres ne font que copier une époque, la décrire, et la juger. Ils effectuent le mouvement humaniste, qui est de réduire un monde à ses croyances et de les évaluer en termes de leur justesse, de leur proximité au vrai.Tout autre est le mouvement ontologique effectué par les grandes oeuvres d’art: focaliser un monde ou une compréhension de l’être. L’important n’est plus d’énoncer  le vrai et le faux, mais de fonctionner, d' »oeuvrer », d’unifier une culture. L’oeuvre d’art ne contient pas de vérités universelles. Dreyfus s’est toujours contenté de la thèse de la multiplicité des mondes, de leur incommensurabilité, et de leur ordonnancement successif. Une oeuvre d’art alors concentre et fait briller un monde. Kelly ajoute une thèse supplémentaire du déclin progressif. où le monde d’Homère brillait plus. Ce qui unifie la succession des mondes sous le méta-récit de l’obscurcissement et de l’appauvrissement constants jusqu’ au monde triste actuel. D’où l’impératif melvillien d’attirer le retour des dieux comme réponse positive au monde nihiliste post-moderne.

6) Articuler un monde

L’humanisme n’envisage que deux possibilités pour l’art: représenter le monde réel unique ou créer un monde imaginaire. La grande oeuvre incarne une troisième possibilité: articuler un monde, le concentrer, le glamouriser, l’exhiber à son mieux. L’artiste se laisse mener par l’oeuvre, il n’est pas le sujet autonome qui a la maîtrise de sa création. Il répond à l’appel de l’oeuvre, qui nous amène à percevoir ce que nous n’avons jamais perçu auparavant. C’est pourquoi Melville est l’anti-Hegel: il n’y a pas de place pour lui dans le récit de l’avancée progressive de l’esprit.Melville est contre les prétentions à la complétude qu’un tel récit semble afficher.

7)  Les pratiques d’arrière-plan

On ne peut pas comparer les mondes comme le voudrait la perspective « grands livres ». Les mondes sont ouverts par de pratiques sousjacentes qui déterminent ce que c’est d’être homme ou femme etc. Ce ne sont pas des croyances, elles n’entrent pas dans nos représentations conscientes, elles forment l’arrière-plan ontologique de chaque compréhension de l’être.  Il n’y a pas de point extérieur et supérieur aux mondes pour les comparer ou les juger au nom d’un critère  de  vérité absolue. Mais il y a peut-être une métaperspective qui peut évaluer les mondes en termes de ce qu’ils recouvrent ou de ce qu’ils devoilent de ces pratiques sousjacentes constitutives des mondes. La thèse du déclin serait en ce cas une thèse de recouvrement progressif. Le critère d’évaluation des mondes serait à quel degré le monde révèle ce que c’est d’être une compréhension de l’être et ce que c’est d’avoir une compréhension de l’être.

8) Pluralisme vs Monisme

Homère et Melville se rencontrent dans le polythéisme, càd le pluralisme. Pour Heidegger le problème c’est le monisme: la croyance en une vérité, en un « Dieu » qui explique tout. Heidegger accepte  l’idée de Nietzsche que Dieu est mort, que le monisme est fini, et que c’est à cette condition qu’on peut retrouver une relation avec le divin. Le postmoderne est une réponse à cette disparition de l’Un. C’est pourquoi « Ulysses » de James Joyce aurait pu figurer dans les oeuvres examinées dans le cours. Mais il y a un meilleur exemple philosophique du postmodernisme, Nietzsche. Nous sommes en train de recouvrir l’importance du mystère, de la réceptivité, de l’émerveillement, de l’ouverture et de la gratitude – de toutes ces choses qui étaient si importantes chez Homère (et qui rendaient son monde si excitant, si chargé de sens, et si riche et que nous sommes en train de perdre petit à petit). Les problèmes commencent quand on essaie de trouver une seule vérité qui explique tout. L’humanisme pose qu’il y a une réponse juste à la question de ce que c’est être humain. Les existentialistes pensent qu’il n’y a pas de réponse informative à la question, qu’il n’y a pas de nature humaine. L’humanisme n’arrive pas à penser l’incommensurabilité des mondes, ni la perte progressive du savoir de ce que c’est d’être humain.

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