LATOUR, DRACULA, ET LE MANIFESTE CENTAURE

Dans »Dracula et l’ontologie » Randolph Carter pose la question du mode d’être en apparence paradoxal des êtres fantastiques tels que Dracula. Il part d’une formule proposée par Denis Mellier pour caractériser la fiction fantastique: « le fantastique ne peut jamais être ce qu’il est, mais il ne peut qu’être ce qu’il n’est pas ». Carter indique que cette tentative de catégorisation débouche sur une question métaphysique, celui du « statut ontologique du fantastique et des objets irréels ». Je suis d’accord avec la thèse de Carter qu’il faut chercher du côté de l’ontologie pour résoudre ce problème de catégorisation, mais je pense que la catégorie d’objet irréel est ambiguë, et recèle en fait une multiplicité qu’il faudrait déplier.

Je pense que le paradoxe énoncé par Mellier vient de vouloir définir le mode d’existence des êtres fantastiques dans un vocabulaire d’ontologie moniste. N’ayant pas de langage pour parler de modes d’existence au pluriel (tel que Bruno Latour tente d’en élaborer les bases) Mellier est obligé d’utiliser le langage moniste pour pointer vers un type d’existence qui serait différent du « réel » ordinaire. Latour définit une pluralité de modes d’existence, pour des êtres tous également « réels », mais dont les conditions de félicité et les spécifications ontologiques sont à chaque fois différentes.

Latour attribue un mode d’existence spécifique aux êtres de la fiction, mais je crois que le fantastique engage plutôt le croisement entre ce mode et un deuxième mode qu’il appelle celui des êtres de la métamorphose. Ce qui rejoint l’ambition de Randolph Carter de faire un croisement entre imaginaire et ontologie, sauf queLatour traite « l’ambiguïté » du mot être comme signe de la pluralité de modes d’existence qu’il englobe.

Ce type de croisement des êtres de la fiction et de ceux de la métamorphose appartient à ce que Ted Friedman a décrit comme un mouvement profond dans la psyche collective contemporaine. Friedman choisit le motif du « centaure » pour symboliser ces êtres hybrides que la popularité du fantastique fait proliférer sur nos écrans et dans nos rêves, mais le vampire est aussi une des figures de cette hybridation de la fiction et du psychisme.

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