DÉNI DE SYSTÈME: Bruno Latour et la suture de Gaia

On ne peut pas parler en dehors des des jeux du langage. Dans le cas de la philosophie, soit la tentative produit des propos incohérents (non-sens),  soit elle s’appuie de fait sur un jeu de langage implicite (suture).

Lorsque Bruno Latour parle de Gaia il efface par l’emploi d’une rhétorique consensuelle le jeu de langage dont ses propos relèvent. Strictement, « Gaia » est une hypothèse scientifique et relève du mode d’existence des êtres scientifiques, qui est décrit par Bruno Latour dans son ENQUÊTE SUR LES MODES D’EXISTENCE.

Gaia et les êtres de religion [REL] relèvent de jeux de langage incommensurables, et leur croisement non-réglé est interdit par le système EME. « Gaia » telle que Latour en parle ne se situe dans aucun mode d’énonciation, ou d’existence, proposé par son système. Pour parler de Gaia, Latour est obligé de se situer en dehors des règles de tout mode d’énonciation, et donc il « prophétise ». Il fait peut-être un beau discours de motivation, mais il a quitté le terrain de la philosophie en général, et de son propre système en particulier.

En prophétisant ainsi, Latour peut dire tout et son contraire, en dehors des règles de sens et de vérité constitutives de ses jeux de langage. Plus rien ne l’empêche. Donc il peut aussi lier dans le même discours Gaia et REL, malgré leur incommensurabilité.

Ceci est conforme au diagnostique de Badiou concernant les post-modernes, dont Latour fait partie, malgré son déni. Selon Badiou le pluralisme de jeux de langage incommensurables est un fait banal et évident de notre monde contemporain. Nous sommes tous pluralistes.  La pensée philosophique qui dénie son statut de philosophie se suture à une de ses conditions et simplifie la pluralité en imposant l’hégémonie d’un seul jeu de langage. Badiou n’inclut pas la philosophie parmi ses quatres procédures de vérité, néanmoins il la traite comme un jeu de langage déterminé dont on peut énoncer les règles.

En revanche, Latour ne donne aucun statut à la philosophie telle qu’il la pratique, préférant user des métaphores. Ces métaphores effectuent une première suture, de surface: Latour suture sa philosophie à la science (REF, dans son système). Donc il appelle son livre un traité de « métaphysique empirique ». Certains des détails de ses analyses ont été suggérés par des recherches en STS, mais le système latourien dans sa globalité n’est absolument pas le fruit de recherches empiriques. Il est dominé par des exigences idéologiques.

Nous allons voir que la suture de surface, de la philosophie à la science, cache une suture plus profonde du système à la religion. En fait, Gaia est le cheval de Troie pour faire entrer la religion dans l’ontologie. Pour Latour nous sommes ontologiquement Catholiques.

Le problème ne vient pas de l’utilisation rhétorique et motivationnelle que Latour fait de Gaia, il surgit plutôt dans l’association non-fondée qu’il instaure entre Gaia et son système ontologique. Latour n’offre aucune explication dans les termes de son système pour son souci de Gaia, il sort Gaia comme un lapin politique de son chapeau ontologique.

Pour Badiou la philosophie configure les vérités qui font événement dans les conditions de vérité d’une époque. Donc Badiou est justifié, en termes de son système, en se référant aux mathématiques post-cantoriennes, et au principe égalitaire d’une politique « communiste ».

Latour aurait pu arguer de façon badiousienne que l’hypothèse Gaia fait événement dans les sciences, REF, et que la philosophie doit en parler. Mais son système interdit l’extraction d’un contenu de son jeu de langage d’origine, pour ensuite le ré-utiliser dans un jeu de langage différent, ou même hors jeu. Il passe son temps, dans un long livre, à expliquer que pour chaque être il y a des conditions de félicité qui règlent toute énonciation à son sujet. Et ensuite il se met à parler de façon sauvage, non-règlée, de Gaia. L’incohérence est totale.

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Un commentaire pour DÉNI DE SYSTÈME: Bruno Latour et la suture de Gaia

  1. Yannick Rumpala dit :

    Il y aurait à creuser du côté de l’influence de la fréquentation d’Isabelle Stengers. Le résultat, curieux en effet, est qu’il ne construit pas tellement une ontologie, mais plutôt une théologie politique, en évacuant (là aussi bizarrement) la base de réflexion « scientifique » qui était disponible et en réintroduisant un halo de spiritualité (voir d’ailleurs par exemple : http://www.unites.uqam.ca/religiologiques/no11/gaia.PDF ).

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