François Laruelle dans l’Avertissement à son livre « Une Biographie de l’Homme Ordinaire » (1985) parle de la déception liée à « quelque indignité institutionnelle » comme source de sa pensée. J’ai argué ailleurs que même un avancement institutionnel pourrait constituer une « indignité » noétique.
Où est quand Laruelle s’est-il fourvoyé? À quel moment a-t-il trahi sa propre pensée? Je crois que les prémices de cet auto-trahison sont déjà présentes dans l’œuvre inaugurale de sa « Philosophie II », Une Biographie de l’Homme Ordinaire. Ce n’était qu’un « entrebâillement », pas une ouverture franche.
Dans ce livre Laruelle parle de nouveau « paradigme » de la pensée, mais se perd entre les deux pôles d’innovation et de normalisation (Popper vs Kuhn).
Après la percée incomplète cristallisée dans sa Philosophie II Laruelle s’est confondu avec son propre personnage conceptuel, le « non-philosophe » et s’est mis à réaliser le programme de ce fantôme plutôt que poursuivre sa propre œuvre.
L’auto-trahison de Laruelle s’appelle les Philosophies III et IV. C’est seulement avec sa Philosophie V qu’on trouve les traces d’un mouvement de libération opéré face à son propre Malin Génie.
C’est seulement vers la fin de cette nouvelle phase, dans son TETRALOGOS (2019), que Laruelle se fournit, en partie à son insu, les ressources pour une auto-critique de son long fourvoiement.
Dans l’Avertissement à « Une Biographie de l’Homme Ordinaire » Laruelle parle de l’origine affective de sa « vivacité anti-philosophique » dans une « passion déçue ». C’est bien, mais trop binaire.
Mon propre rapport à la pensée de Laruelle est « vivace » et intensive, son œuvre m’inspire et concepts et critiques et passion et déception, tout un champ d’intensités, sans hiérarchie. Il faudrait que Laruelle règle son propre binarisme.
Laruelle n’est le propriétaire d’aucun mot, concept, posture. J’étais attiré par son œuvre parce que j’avais mes propres passions, vivacités, et déceptions déjà, bien avant de rencontrer ses livres. La démocratie de la pensée est un réel qu’il ne peut pas régler, normer ou calculer. Ni binariser.
Dans la conclusion de l’Avertissement à Une Biographie de l’Homme Ordinaire Laruelle évoque son équation personnelle dans des termes binaires. D’un côté son « entreprise » transcendantale (à labourer), de l’autre « la part humain, trop humain » (dont il faut « respecter…l’intimité du drame »).
Ce binarisme (concept/affect) est d’autant plus étonnant que l’Avertissement, comme le livre tout entier, est un plaidoyer pour la « réconciliation » dans une vision unaire des deux termes. Cette équation à deux variables n’est jamais résolue par Laruelle dans la suite de son œuvre, mais seulement escamotée.
Note: je remercie Gilles Grelet pour une série de réflexions sur twitter qui m’ont poussé à clarifier mes propres idées.