Dreyfus L03

Résumé

Explication Ontologique vs Explication Psychologique

L’exemple de Télémaque

La vision humaniste explique le comportement humain en termes de motifs intérieurs de l’activité d’un sujet autonome et responsable. Or,  l’exemple de Télémaque montre que Homère n’a aucune place pour un tel sujet. Télémaque, sous l’effet de la conversation avec Athéna qui se fait passer pour Mentès, passe de l’état d’un garçon qui se morfond à celui d’un homme qui agit. L’explication psychologique serait qu’il a changé d’avis: il a vu ce qui se passait, et ses croyances ses désirs (ses états mentaux intérieurs) ont changé. Mais ce changement ne peut pas, sous peine de circularité, être le résultat d’une décision. La capacité de prendre d’une telle décision ne peut exister qu’après le passage de l’état de rêverie d’un garçon passif à la lucidité d’homme actif et entreprenant. On ne peut pas expliquer ce passage en termes de sa propre psychologie, mais on doit invoquer l’action quelque chose qui est expérimentée comme l’intervention d’une force extérieur. Car son monde a changé et toute décision est intra-mondain,et donc sans pertinence pour expliquer le passage d’un (Un monde dans ce sens est composé d’équipement, de rôles, de pratiques partagées, de tonalités affectives).

La thèse de l’irresponsabilité

Il serait une erreur, dérivée du préjugé humaniste, de voir dans de telles expériences une fuite de responsabilité. Le moi autonome et responsable ne fait pas partie du monde homérique, Télémaque ne peut pas prendre responsabilité de son propre chef pour son état présent et se déterminer à le changer sans l’intervention d’un dieu. Homère décrit un autre type de subjectivation où la réceptivité aux tonalités est constitutive de la subjectivité et de sa relation au monde. Un analogue moderne serait l’expérience de l’état de « flow », d’être dans la zone, où on réalise des performances excellentes sans le sentiment d’effort et sans l’intervention de la volonté. Si on réfléchit sur l’action pour analyser la méchanique du processus et le reproduire délibérément, on devient incapable de réaliser la performance optimale. On reçoit quelque chose dans l’émerveillement et avec un sentiment de gratitude. D’où la « thèse de l’irresponsabilité » énoncée par Dreyfus: lorsque nous agissons au mieux de notre forme, lorsque notre performance est optimale nous ne sommes pas responsables pour ce que nous faisons, nous ne pouvons pas choisir de le faire. Ceci peut être vu dans les expériences de flow dans les sports, dans la musique, partout où un niveau de maîtrise peut être atteint au-delà de la simple compétence. Donc les épisodes d’intervention d’un dieu chez Homère témoigne non pas de sa naiveté cognitive, comme la vision humaniste le voudrait, mais plutôt de sa sophistication phénoménologique

L’exemple de Hélène

Hélène raconte son histoire devant son mari et ses convives sans honte et sans opprobre. Elle suscite plutôt l’admiration de son mari et semble bénéficier de l’approbation de Homère.  Il n’y a aucune notion de responsabilité morale, de culpabilité, de repentance, de la nécessité d’un châtiment. Hélène n’a pas  mal agi, elle n’a pas « péché »; elle a bien agi puisqu’elle a été ouverte et réceptive à la brillance d’Aphrodite et à son accordement aux possibilités érotiques d’une situation. Cette ouverture et cette réceptivité sont nécessaires pour faire ressortir le mieux d’une situation. Au lieu de la responsabilité, ce qui est valorisé  et encouragé est la sensibilité aux dieux, l’aptitude à faire ressortir ce qui est le mieux dans une situation.

Une Culture Tonale

Le monde homérique est caractérisé par l’importance qu’il accorde aux tonalités affectives. Les tonalités surgissent sans l’intervention de notre volonté, elles peuvent entrer en conflit, on ne peut pas s’en débarrasser. Si on voit l’importance des tonalités, comment elles influencent notre comportement, comment elles déterminent ce qui est intéressant ou passionnant ou dangereux ou attirant ou important, alors on vit une vie riche et passionnante. La clé pour bien lire Homère c’est de chercher à chaque fois le phénomène des tonalités. Avec cette clé, la lecture de Homère peut nous faire comprendre (1) ce que sont les tonalités et leur phénoménologie et (2) à quoi ressemble une culture « tonale » càd une culture qui accorde une grande importance aux tonalités affectives et qui les traite comme des puissances supra-personnelles et pas seulement des états mentaux.

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