Sommes-nous dans une ère de la postcritique?
Si oui, qu’est-ce que cela veut dire pour la discussion entre points de vue différents et pour l’imagination politique d’un futur autre? Sommes-nous condamnés au relativisme démocratique où tout le monde a raison et où il faut pratiquer la tolérance universelle?
Ou est-ce qu’on peut donner un sens fort au concept de postcritique, pour le distinguer du régime de la post-vérité où chacun a le droit de construire sa « réalité » en dehors de toute confrontation avec un réel indépendant de nos volontés?
Pour tenter de répondre à cette question il faudrait parler concrètement, à partir d’un cas réel. On peut prendre l’exemple du « débat » entre Jordan Peterson et Slavoj Zizek:
Dans la première partie de cette rencontre Jordan Peterson a choisi d’adopter la posture critique, même si il est capable d’autres jeux de langage. Sa position initiale était proche du rationalisme critique de Karl Popper. Malgré son insistance sur son statut de clinicien, Peterson parlait, de façon maladroite, le discours de l’université en s’essayant à une réfutation du Manifeste Communiste.
Déjouant les attentes, Zizek dans sa réponse adoptait une posture postcritique, parlant le discours de l’hystérique, c’est-à-dire subjectivé, malgré sa légitimité universitaire. Ainsi, il a déjoué les attentes d’un débat « critique », pré-codé et sans surprise.
Le résultat de ce non sequitur, et de l’ouverture d’esprit dont Peterson a témoigné, c’est que le « débat » critique est devenu un échange libre. Les points d’accord ont pu passer au premier plan. Les points de désaccord n’étaient pas escamotés, mais ils ne dominaient pas la discussion.
Donc les lignes de démarcation claires et distinctes de l’ère critique sont aujourd’hui plus ambiguës, plus embrouillées, et plus perméables.
Les deux penseurs étaient d’accord sur un symptôme idéologique préoccupant: le multi-culturalisme politiquement correct. Et ils partageaient le même diagnostic: ce symptôme fait usage du relativisme démocratique et de l’égalitarisme dogmatique comme masques idéologiques pour cacher l’émergence d’un nouvel autoritarisme.