FRAGMENTS D’UNE CONVERSATION AVEC MICHEL DEGUY (2): Bilinguisme et Individuation

Grâce au dialogue avec Michel Deguy, j’ai commencé à mieux comprendre mon adoption de la langue française comme expérience philosophique et existentielle. Souhaitant relativiser mes propos un peu trop tranchants, il m’a demandé s’il pouvait me proposer une phrase simple en français que je ne comprendrais pas, j’ai répondu que sans doute il y avait une infinité de telles phrases, et sans attendre Michel a prononcé: « Si les glaiseux n’ont plus d’oseille ils vont calancher ». Je connaissais « oseille »; j’ai hasardé que les « glaiseux » étaient peut-être ceux qui travaillaient la terre; mais je n’avais aucune idée de ce que « calancher » pouvait dire. Gentiment, Michel a dit qu’il y avait sûrement bien de personnes de langue maternelle française qui n’auraient pas compris cette phrase (en effet, en rentrant chez moi, quelques jours plus tard, j’ai testé la phrase sur mon épouse et elle ne l’a pas comprise, mes beaux-parents non plus). Au-delà de l’anecdote amusante, cette « épreuve » m’a fait prendre conscience plus clairement d’un phénomène que j’ai toujours essayé d’exprimer: le bilinguisme n’est pas un état qu’on peut atteindre ou qu’on peut viser, mais c’est un processus d’individuation dans et par la langue, différent pour chaque être qui adopte une nouvelle langue. De surcroît, ceci montre que même l’acquisition de notre langue maternelle n’est pas fondamentalement une question de « maîtrise », mais plutôt d’individuation sans fin.

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